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Autoroute A6 Autoroute
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Cet article et tous les historiques détaillés consacrés à l’autoroute A6 sont le fruit de recherches entreprises dans les archives, notamment celles des Ponts-et-Chaussées et des services de l’Urbanisme. Ils contiennent certaines informations qui n’avaient pas été publiées auparavant. Si vous les réutilisez dans d’autres publications, merci de ne pas omettre de citer la source WikiSara.

Article principal :

Époque précédente :

A6 1963 près d'Arbonne

Un retour de week-end chargé, près d’Arbonne-la-Forêt en 1963 (vue vers le Sud)
© Dark_green67

1956 : Prolongement vers Nemours et traversée de la forêt de Fontainebleau[]

  • Les idées concernant le prolongement de l’autoroute vers le Sud ont très rapidement évolué en l’espace d’un peu plus d’une année, entre novembre 1953 et février 1955.
    • A6 1956 Fontainebleau

      Avant-projet du prolongement vers Fontainebleau (1956).
      © Dark_green67

      A l’origine, lors de la conférence inter-services du 6 novembre 1953, il n’est question que de créer un deuxième accès à Fontainebleau en permettant d’atteindre la forêt par l’Ouest. La solution d’une route ordinaire à deux voies débouchant sur la R.N. 837 à l’orée de la forêt et exploitée éventuellement à sens unique vers Paris le dimanche montre bien que le souci était alors de faire face à l’afflux de circulation entre Paris et la forêt lors des pointes dominicales.
    • Six mois plus tard, dans l’étude sommaire du tracé que présente l’ingénieur en chef du S.S.A. le 22 juin 1954, il est mentionné : "si dans l’avenir il apparaissait nécessaire de poursuivre l’autoroute en direction de Lyon, il serait aisé de le faire en utilisant le tracé présenté, dont la continuation vers le Sud serait possible en contournant la Forêt par l’Ouest sans altérer ou couper cette forêt".
    • Le 22 décembre 1954, le ministre valide le principe général du prolongement jusqu’à Fontainebleau et il précise : "L’augmentation de la circulation générale permet de supposer que la construction (…) d’une autoroute (…) en direction de Lyon pourra s’imposer dans l’avenir. Il est logique de prévoir que cette autoroute passerait par Fontainebleau". A cette date, on peut supposer que le ministre a déjà été mis au courant des grandes lignes du projet de Route des Plateaux que l’ingénieur en chef des Ponts-et-Chaussées de l’Yonne va présenter officiellement une semaine plus tard et qui doit aboutir au Sud de la forêt de Fontainebleau (se reporter à l’article détaillé relatif à la Route des Plateaux).
    • Le 1er février 1955, le principe général pour la première partie du tracé d’une future autoroute de liaison entre Paris et Lyon est entériné à l’occasion d’une réunion organisée par Directeur des Routes, au cours de laquelle est acté le principe "d’une longue déviation des R.N. n° 5 et 6 entre Fontainebleau et Avallon, déviation qui, se raccordant près de Barbizon à l’autoroute du Sud de Paris (…), contournerait par l’Ouest la forêt de Fontainebleau et se développerait ensuite sur les plateaux situés à l’Ouest de l’Yonne qu’elle traverserait un peu au Sud d’Appoigny pour rejoindre la R.N. 6 à La Cerce, à 5 kilomètres environ à l’Est d’Avallon".
  • La mise au point du tracé au niveau de la forêt va toutefois soulever de grandes difficultés et les services des Ponts-et-Chaussées devront faire face à des protestations incessantes jusqu’au démarrage des travaux, début 1962.

Premières contestations des Amis de la Forêt[]

  • A6 1956 Fontainebleau détail

    Détail de l’avant-projet du Plessis-Chenet à Macherin (1956)
    © Dark_green67

    La première partie, jusqu’à Macherin, avait été étudiée selon un itinéraire "tout indiqué", pour reprendre les termes de l’ingénieur en chef de la Seine-et-Marne, par la plaine de la Bière et ne semblait pas lui poser trop de problèmes, sous réserve de lancer simultanément le remembrement des terrains agricoles. Au-delà, le tracé n’avait été qu’esquissé. En se détachant de la voie nouvelle un peu à l’Ouest de Saint-Martin-en-Bière, il avait semblé logique de traverser le massif de Fontainebleau dans sa partie sa plus étroite, entre Arbonne et Achères-la-Forêt, en passant entre la forêt domaniale, à l’Est, et le terrain militaire du massif des Trois-Pignons, à l’Ouest. A cet endroit, on se trouvait en effet en dehors de la partie domaniale de la forêt, dans un site relativement peu boisé et constitué principalement de rochers. On y trouvait plusieurs anciennes carrières de grès abandonnées et une grande partie des terrains appartenaient déjà à l’armée, qui envisageait d’ailleurs de s’étendre dans le cadre de l’implantation éventuelle de l’école de Saint-Cyr à Fontainebleau. Consultés, les services locaux des Eaux-et-Forêts avaient donné un accord de principe car c’était le meilleur emplacement du point de vue forestier en lisière de la forêt domaniale.
  • Les premières contestations apparaissent dès le début de 1955, alors que l’ingénieur en chef de Seine-et-Marne commence tout juste à présenter le tracé de façon informelle pour recueillir les avis localement. Dans un premier temps, les principales oppositions concernent le débouché annoncé de l’autoroute sur le C.D. 11 à Macherin. Elles émanent essentiellement de résidents du secteur, des "cultivateurs" et des "citadins qui ont choisi Macherin comme lieu de résidence pour leurs jours de liberté et leurs vacances", qui craignent que l’afflux de trafic ne vienne troubler le calme bienfaisant de "leur" forêt. En août 1955, ils adressent une pétition au ministère pour demander que la bretelle d’autoroute ne touche pas à la plaine située entre Arbonne et Barbizon[1], "qui est l’un des plus beaux paysages de l’Île-de-France et dont les lignes harmonieuses risquent d’être détruites" et ils proposent de la faire aboutir plus au Nord, sur la R.N. 7 à la sortie Sud de Chailly-en-Bière. Ces protestations sont relayées par la Société des Amis de Fontainebleau dont le président, qui habite Barbizon, est aussi chroniqueur au Figaro, ce qui permet de donner un peu plus de portée à leurs revendications. Le 12 septembre 1955, ils font parvenir au ministère une variante de tracé qui contournerait Fontainebleau par l’Est, en suivant plus ou moins le tracé de l’ancienne route de Bourgogne (D142 et D138). Cette variante est immédiatement rejetée par le Service Spécial des Autoroutes car elle ne répond pas au besoin d’améliorer la desserte de la forêt. En outre, le passage à proximité de l’agglomération d’Avon au niveau des coteaux de la Seine poserait de très gros problèmes et, de toute façon, il est hors de question de tracer une autoroute dans la partie domaniale de la forêt.
  • Progressivement, la contestation s’élargit et les opposants visent également le prolongement de l’autoroute au-delà de Macherin. Les Amis de la Forêt multiplient leurs interventions contre le tracé de l’autoroute et réussissent à associer à leur démarche plusieurs personnalités éminentes dont la réputation permet de donner de l’ampleur à la campagne contre le tracé de l’Administration. Celle-ci note au passage que plusieurs de ces personnalités disposent d’une résidence secondaire dans le secteur et que leurs critiques manquent peut-être d’objectivité.
  • Pour les Amis de la Forêt, le projet va à l’encontre des intérêts touristiques et économiques de la région puisqu’il va augmenter le trafic routier dans une zone qui devrait être considérée comme une zone de silence et de repos et donc être préservée. Le véritable tracé d’une autoroute vers Lyon devrait être recherché soit en rive droite de la Seine, soit dans le contournement complet par l’Ouest du massif forestier. A l’appui de leurs revendications, ils présentent au ministère le 26 octobre 1955 un projet de tracé alternatif qui parcourt du Nord au Sud le long plateau entre les vallées de l’Essonne et de l’École, et qui aboutit entre Nemours et Château-Landon, en passant à l’Ouest de Milly-la-Forêt (voir illustration).

La contestation prend de l'ampleur[]

  • Au début de 1956, la contestation prend encore de l’ampleur. Successivement entre février et mars le Muséum d’Histoire Naturelle, l’Académie des Sciences puis l’Académie des Beaux-Arts émettent des vœux appelant au contournement complet du massif forestier, y compris les Trois-Pignons. Le 3 mai, la Direction des Routes organise une réunion avec tous les services concernés (S.S.A., Inspecteur Général, Services Ordinaires de Seine-et-Marne et de Seine-et-Oise) pour "examiner les suites à donner à l’opposition qui s’est manifestée (…) à l’encontre du tracé envisagé pour l’autoroute Paris-Lyon à l’Ouest de Fontainebleau et en faveur d’un tracé passant entre les deux vallées de l’École et de l’Essonne". A l’issue de cette réunion, la conclusion est claire : le tracé des Amis de la Forêt, qui reprend un projet préliminaire qui avait été étudié sans suite par le S.S.A., ne peut pas être retenu. Sur le plan fonctionnel, ce tracé ne répond absolument pas au besoin prioritaire d’amélioration de la circulation sur la R.N. 7 au Nord de Fontainebleau et des déviations coûteuses resteraient nécessaires à Ponthierry, Pringy et Chailly-en-Bière. Par ailleurs, la longueur de l’autoroute pour la circulation à grande distance augmenterait de plus de huit kilomètres, ce qui représenterait non seulement un investissement initial plus élevé, chaque kilomètre à construire coûtant à peu près 150 millions, mais aussi des frais de traction plus élevés pour les usagers. Actualisés sur 20 ans, ces surcoûts représenteraient plus de dix milliards pour la collectivité. Il faut donc impérativement s’en tenir au tracé initial, en prenant toutes les précautions nécessaires pour intégrer au mieux l’autoroute dans le site. Par ailleurs, le fait d’avoir présenté dans un premier temps uniquement le projet de prolongement de l’autoroute du Sud jusqu’à Macherin et de n’évoquer un prolongement ultérieur qu’à titre éventuel peut conduire à penser que, pendant plusieurs années, tout le trafic de l’autoroute devra s’écouler par le C.D. 11 et la R.N. 837, axes qui ont de moins bonnes caractéristiques que la R.N. 7 dans la traversée de la forêt et qui devront donc être élargis à trois ou quatre voies. Il n’est donc pas illogique que cela provoque de grandes inquiétudes autour de Macherin et de Barbizon, secteur qui comporte de nombreuses résidences secondaires de citadins aisés et influents. Si l’enquête d’utilité publique était lancée sur ce seul tronçon, ainsi que cela a été prévu, il y aurait un grand risque d’un avis négatif de la part de la commission d’enquête. Il importe donc de présenter à l’enquête un dossier global pour la section Corbeil-Nemours, première étape de l’autoroute vers Lyon, et de souligner que cela permettra de dégager la région de Fontainebleau de toute la circulation générale et de mieux la réserver aux seuls usagers qui en viennent ou qui désirent s’y rendre pour leurs occupations ou la promenade en forêt. A cet effet, il faudra préciser que la bretelle de Macherin sera conçue comme une route ordinaire avec une chaussée de 7 mètres seulement, ceci pour éviter dans la mesure du possible des protestations qui ne manqueraient pas de se produire, "une largeur plus importante de la bretelle postulant un élargissement concomitant du C.D. 11 et de la R.N. 837 et, partant, une emprise supplémentaire sur la forêt". Si malgré cette précaution l’enquête met en évidence de trop nombreuses protestations, il sera toujours possible de substituer à la bretelle de Macherin une autre bretelle plus au Nord, orientée vers Chailly-en-Bière ainsi que cela était demandé par la pétition de septembre 1955.

Première enquête d'utilité publique[]

  • A6 1957 Fontainebleau EUP

    Tracé soumis à l’enquête d’utilité publique (Février 1957).
    © Dark_green67

    Le S.S.A. établit le dossier d’avant-projet de la section Corbeil-Nemours sur ces principes et le présente à l’administration supérieure le 13 juillet 1956. Après examen en Conseil Général des Ponts-et-Chaussées le 22 août, le Secrétaire d’État aux Travaux Publics le prend en considération le 3 septembre et autorise le lancement immédiatement de l’enquête d’utilité publique. Celle-ci se déroule du 18 février au 27 mars 1957. Comme cela avait été pressenti par les Ponts-et-Chaussées, les opposants à l’autoroute mènent une très vive campagne. L’ingénieur en chef du S.S.A. note qu’elle est animée par le directeur du Muséum d’Histoire Naturelle, membre de l’académie des Sciences, qui a écrit à de nombreuses organismes scientifiques et touristiques pour attirer leur attention sur le fait que "la pression des ingénieurs et de certains milieux politiques risque de faire aboutir un projet désastreux pour l’ensemble du massif" et leur demander de déposer leurs observations sur les registres d’enquête. Sous son impulsion, l’Académie des Sciences et l’Académie des Beaux-Arts réitèrent de façon solennelle le vœu qu’elles avaient émis l’année précédente. Un Ingénieur Général des Ponts-et-Chaussées à la retraite réputé, Albert Caquot, s’associe à la protestation et fait jouer ses relations au niveau ministériel. Le Figaro Littéraire publie le 23 février un long article informant le grand public que l’enquête est en cours et que la forêt risque d’être massacrée à cause de quelques ingénieurs obstinés alors qu’une autre solution bien meilleure existe pour contourner la forêt par l’Ouest. Pour y faire face, les services des Ponts-et-Chaussées sollicitent d’autres organisations influentes, comme le Touring Club de France qui prend ouvertement position pour le tracé de l’autoroute et entreprend une contre-campagne de presse, notamment avec Le Monde. Ils obtiennent également le soutien du conseil général de Seine-et-Marne à l’unanimité et de la plupart des élus de Seine-et-Marne : sénateurs, députés, maires des localités importantes.
  • Au final, la commission d’enquête estime que le projet de prolongement de l’autoroute de Corbeil à Nemours présente un caractère d’utilité publique mais les nombreuses protestations contre le tracé la conduisent à assortir son avis de plusieurs réserves et suggestions[2]. En particulier, elle demande de faire aboutir la liaison routière sur la R.N. 7 au Sud de Chailly-en-Bière, et non sur la Route Nationale 837 à proximité du site réputé de Franchard, et elle soutient le projet des Eaux-et-Forêts d’acquérir le massif des Trois-Pignons pour le reboiser, en recommandant aux Ponts-et-Chaussées de leur apporter un concours financier pour compenser l’emprise de l’autoroute.

Enquête complémentaire et déclaration d'utilité publique[]

  • A6 1957 Fontainebleau EUP complémentaire

    Modification du tracé soumis à enquête complémentaire (Décembre 1957).
    © Dark_green67

    Prenant acte de cet avis, le S.S.A. présente dès le 29 mai 1957 un projet modificatif. Corrélativement à l’abandon de la liaison routière vers Macherin, remplacée par une nouvelle liaison vers Chailly, il propose de rectifier le tracé de l’autoroute entre l’Est de Nainville-les-Roches et le Sud-Ouest d’Arbonne-la-Forêt pour satisfaire, en même temps, aux avis négatifs exprimés en cours d’enquête quant au passage près des localités de Fleury-en-Bière, Forges et Saint-Martin-en-Bière. Le nouveau tracé passe désormais à proximité de Saint-Germain-sur-École, à l’Ouest de Cély et à l’Ouest de Fleury-en-Bière, tout en évitant assez largement le parc du château de cette localité dont le propriétaire, Maire de Courances, est un conseiller général influent. Ce nouveau dossier est pris en considération le 15 octobre, après avis de l’Inspecteur Général le 5 juillet, et soumis immédiatement à une enquête complémentaire dans le seul département de Seine-et-Marne[3], du 14 novembre au 4 décembre.
  • Celle-ci donne lieu à de nouvelles protestations, principalement du côté de Chailly-en-Bière où les habitants signent une pétition le 2 décembre 1957 pour que la bretelle soit éloignée des dernières maisons du village, alors que le tracé figurant dans le dossier d’enquête aboutit à leur proximité immédiate. De même, se crée un "Comité de défense des habitants et résidents des villages de Saint-Germain-sur-École et Cély-en-Bière", dont fait partie un ingénieur des Ponts-et-Chaussées à la retraite, pour refuser le passage de l’autoroute à proximité de chez eux et soutenir le tracé à l’Ouest de Milly-la-Forêt[4].
  • A6 1957 Fontainebleau Variante par l'Ecole

    Variante Ouest par Soisy-sur-École, Courances, Milly-la-Forêt, Noisy-sur-École et Le Vaudoué (1957).
    © Dark_green67

    Comme lors de la première enquête, les principaux opposants à l’autoroute multiplient les observations sur le registre d’enquête et la commission des sites émet formellement un avis négatif. Les Ponts-et-Chaussées ayant rejeté le contre-projet de contournement Ouest de la forêt en raison de sa longueur et du surcoût que cela représentait pour la collectivité, ils proposent désormais une nouvelle solution plus courte passant par la vallée de l’École, en longeant plus ou moins la lisière Ouest du massif forestier. Cette solution est, comme la première, formellement rejetée par l’ingénieur en chef du S.S.A. qui rappelle qu’un tracé similaire avait été envisagé à l’origine mais qu’il n’avait pas été retenu lors de la présentation du projet à la Commission des Sites, en raison de l’opposition irréductible qu’il aurait provoquée dans les nombreuses localités qui jalonnent la vallée. L’intérêt de ces petites localités à caractère résidentiel et historique, où l’on trouve de nombreux châteaux, tient en grande partie de leur proximité du massif forestier et il est rigoureusement inconcevable d’implanter un tracé autoroutier entre elles et la forêt. Le S.S.A. souligne que "pour supprimer les objections de caractère botaniste et entomologiste contre le tracé actuel, et indépendamment des graves inconvénients du point de vue de la circulation (allongement et modification des liaisons), on est assuré d’une véritable levée de boucliers contre le passage en vallée de l’École, à l’Est de la ligne des agglomérations".
  • L’avis de la commission d’enquête est de nouveau favorable et les Ponts-et-Chaussées poursuivent la procédure réglementaire. La conférence interservices est organisée le 10 septembre 1958 au cabinet du secrétaire d’État aux Travaux Publics. Au cours de cette réunion, les représentants du ministère de l’Agriculture (en l’occurrence l’administration centrale des Eaux-et-Forêts) et ceux du ministère de la Culture (l’administration centrale des Beaux-Arts, intervenant au titre des sites classés) tentent à nouveau de soutenir la variante par la vallée de l’École proposée par les sociétés savantes mais le point de vue des Ponts-et-Chaussées est catégorique : l’opposition des communes concernées est tout à fait certaine et le ministère des Travaux Publics ne pourrait en aucun cas assumer le discrédit grave de lancer une enquête sur une telle opération. Ne voulant pas assumer eux-mêmes les conséquences d’un avis défavorable à l’issue d’une nouvelle enquête, les Beaux-Arts et les Eaux-et-Forêts se rallient finalement à cette manière de voir et se résignent donc à accepter le tracé des Ponts-et-Chaussées. Après avis favorable du Conseil d’État en séance du 30 septembre, le tracé est déclaré d’utilité publique le 3 octobre 1958 par décret signé par le Président du Conseil, Charles de Gaulle.

Recours auprès du Président de la République[]

  • L’obtention de cette déclaration ne marque cependant pas la fin des oppositions au tracé de l’autoroute. Aux archives nationales, dans le très gros versement consacré à "Charles De Gaulle, Président de la République (1959-1969)", figure tout un dossier sur les interventions de l’Institut de France au plus haut niveau de l’État pour le faire abandonner au profit du contre-projet passant par Milly-la-Forêt et la vallée de l’École. On trouve également un dossier similaire dans les archives du Service Spécial des Autoroutes qui a été chargé de développer et mettre en forme l’argumentaire de l’administration des Travaux Publics.
  • A la base, on retrouve deux opposants "historiques" au passage de l’autoroute en forêt de Fontainebleau : le professeur Roger Heim, directeur du Muséum d’Histoire Naturelle, et Philibert Guinier, un directeur honoraire de l’école des Eaux-et-Forêts, tous deux membres de l’Académie des Sciences. Ils obtiennent de leurs pairs, dès l’annonce de la déclaration d’utilité publique, d’être nommés membres d’une commission d’étude consacrée à la défense de la forêt de Fontainebleau[5]. Au titre de cette commission, dont la présidence est confiée à Albert Caquot, ils commencent par solliciter le Président du Conseil, Michel Debré. Le directeur de cabinet, un certain Georges Pompidou, répond le 4 décembre 1958 que, compte tenu de l’avancement du dossier, il ne paraît pas possible de revenir sur le tracé des Ponts-et-Chaussées. Ils demandent alors à rencontrer le nouveau ministre des Travaux Publics, Robert Buron. Celui-ci se contente de les renvoyer vers le Directeur des Routes, lequel leur expose la liste des arguments qui ne permettent pas de modifier le tracé déclaré d’utilité publique. A leur demande, le ministre d’État chargé des Affaires Culturelles, André Malraux, intervient aussi auprès de son collègue des Travaux Publics le 28 juillet 1959 mais il n’obtient pas plus de succès, le ministre faisant siens les arguments des Ponts-et-Chaussées dans son courrier de réponse daté du 19 août.
  • Au début de 1960, leurs interventions successives en tant que membres d’une commission d’étude de l’Académie des Sciences étant infructueuses, ils décident de donner une forme encore plus solennelle à leur protestation et de faire remonter l’affaire au niveau de l’Institut de France. Le 30 mai 1960, leur académie émet "une fois encore, en toute conscience et avec une particulière insistance, le vœu que le projet établi par les services publics tienne compte de la proposition formulée et précisée par les naturalistes et les groupements scientifiques français et internationaux afin que le tracé contourne à l’Ouest le massif de Fontainebleau, respectant ainsi cet ensemble, soit en suivant la route 448 ou tout autre ligne dont La Chapelle-la-Reine pourrait marquer une étape". Selon ce vœu, le projet des Ponts-et-Chaussées "compromettrait gravement l’intégrité d’un massif considéré comme un des sanctuaires naturels les plus riches au monde" ; aucun argument d’ordre touristique "ne saurait suffire à négliger, si cette amputation était réalisée, les méfaits définitifs qu’éprouveraient les équilibres et les microclimats au sein desquels faune et flore ont trouvé refuge" ; "d’ailleurs, la construction d’ouvrages d’art importants (…) conduirait à saccager un site grandiose". Le 1er juin, les Secrétaires Perpétuels de l’académie le transmettent au chancelier de l’Institut pour qu’il soit soumis aux quatre autres académies en leur proposant, si elles l’adoptent, de le présenter ensuite à Monsieur le Président de la République. Le 7 juin 1960, conformément à leurs attentes, le vœu est adapté à l’unanimité des cinq académies à l’occasion de l’assemblée générale de l’Institut de France. Après avoir contacté en vain les services du Premier Ministre dès le 16 juin pour que celui-ci veuille bien soutenir et présenter leur vœu, le Chancelier de l’Institut s’adresse au directeur de cabinet du Président de la République le 19 septembre. Il insiste sur l’urgence de ce "suprême recours contre la mutilation de l’un des plus beaux ensembles forestiers de notre patrimoine national", et déclare que le bureau de l’Institut est prêt, si le Président voulait bien leur accorder une audience, à lui exposer de vive voix les motifs qui justifient ce vœu.
  • Le 21 septembre 1960, le Général de Gaulle, tout en s’étonnant qu’une telle affaire remonte à lui, charge son directeur de cabinet d’accuser réception du vœu des cinq Académies : "Les observations que vous formulez ont retenu toute l’attention de M. le Président de la République qui demande à M. le Premier Ministre et M. le Ministre des Travaux Publics de lui faire rapport sur les données de ce problème". Dans une note adressée à Philippe Malet, chargé de mission au secrétariat général de la Présidence, le directeur de cabinet précise : "Le Général de Gaulle a pris connaissance du vœu ci-joint des cinq Académies relatif à la sauvegarde de la forêt de Fontainebleau. Il demande que soit prise l’attache du Ministère des Travaux Publics et des Services du Premier Ministre de telle manière que lui soit fournie une note aussi précise que possible sur les données du problème. (…) Il y a lieu, à mon sens, d’examiner de très près cette affaire et de rechercher s’il n’y a pas lieu de substituer le tracé de la route 448, comme le demandent les cinq Académies, ou toute autre ligne, au tracé retenu par les techniciens de la Direction des Routes". Il le relance le 10 octobre : "Je vous ai dit, je crois, le vœu du Général de Gaulle d’être mis en possession d’une note lui fournissant tous les éléments d’appréciation".

Décision du Général de Gaulle[]

  • A6 1961 Fontainebleau Décision CDG

    Décision du Général de Gaulle sur le tracé (Février 1961).
    © Dark_green67

    Après avoir recueilli les différents argumentaires, le chargé de mission remet finalement une note de synthèse de 4 pages au directeur de cabinet le 28 février 1961. Son analyse est très claire : "Les objections faites à la traversée de la forêt de Fontainebleau par l’autoroute du Sud sont nettement exagérées". Contre le tracé retenu, les opposants proposent diverses solutions de contournement Ouest mais alors "l’intérêt économique du parcours serait gravement altéré" et, surtout, il faudrait reprendre toute la procédure de déclaration d’utilité publique et d’expropriations, "ce qui ne manquerait pas d’entraîner un retard de plusieurs années". "Il semble clair en définitive que la balance entre les avantages et les inconvénients du tracé d’utilité publique ou d’un autre penche de façon déterminante en faveur du premier". Ce tracé résulte "d’un compromis entre l’intérêt propre de la forêt et les impératifs techniques et économiques. Les inconvénients qui sont susceptibles d’en résulter pour la sauvegarde du massif n’apparaissent pas suffisants pour que le Gouvernement puisse estimer indispensable de revenir sur certaines de ses décisions antérieures".
  • La réponse du directeur de cabinet lui est donnée le soir même : "M. Mallet, Le Général de Gaulle n’a pas d’objection".
  • A6 1960 Synthèse Fontainebleau

    Tracés des variantes Ouest rejetées par les Ponts-et-Chaussées (Octobre 1960).
    © Dark_green67

    L’analyse des documents conservés aux archives montre que les services des Ponts-et-Chaussées ont particulièrement étayé leur argumentation, contrairement à l’ensemble des "opposants", membres de l’Institut et services des Eaux-et-Forêts, qui s’en sont tenus à des critiques d’ordre général, exprimées en deux ou trois pages et basées sur le fait qu’on allait détruire l’unité d’un espace vert remarquable. Les Ponts-et-Chaussées ont constitué un dossier volumineux et illustré de nombreux documents et montages photographiques pour démontrer qu’il n’y avait pas d’autre choix possible pour le tracé que celui qui avait été légalement déclaré d’utilité publique, sauf peut-être un tunnel sous la forêt :
  1. Le tracé déclaré d’utilité publique (tracé en rouge sur la carte) a été très soigneusement étudié. Il traverse le massif en un point où sa largeur est la plus réduite. Le tracé initial a été infléchi de façon que la jonction entre Fontainebleau et l’autoroute soit faite par la R.N. 7, grande voie existante, et non, comme le prévoyait le premier projet, par la R.N. 837 qui conservera son caractère de petite route tranquille à travers la forêt. L’intégration au site a été particulièrement étudiée : les talus de l’autoroute seront modelés avec des pentes très douces ; un aménagement paysager est prévu pour y développer, après apport de terre humifère, la végétation arbustive environnante et faire en sorte que la plateforme de l’autoroute semble se situer dans un mouvement naturel du relief ; la plupart des voies forestières seront rétablies par des ouvrages d’art sous l’autoroute ; le projet prévoit que deux vallées, les Cavachelins et la Vallée Chaude, qui constituent deux cheminements essentiels entre l’Est et l’Ouest du massif, seront franchies non par des remblais élevés formant barrière et créant des cuvettes ou par des ouvrages étroits susceptibles de favoriser le braconnage mais par deux viaducs très fins, d’une longueur totale de 200 mètres, qui assureront ainsi parfaitement les échanges de part et d’autre de l’autoroute, aussi bien pour les promeneurs que pour les animaux, tout en laissant intact le terrain surplombé.
  2. Les contre-projets ne sont pas satisfaisants. Les tracés contournant la forêt par l’Ouest ne peuvent suivre exactement la R.N. 448 dans la vallée de l’École puisque cette vallée est entièrement occupée par de nombreuses localités très pittoresques qu’il n’est pas question de traverser par l’autoroute. Il faut donc se placer soit à l’Ouest, soit à l’Est de cette vallée, les deux solutions comportant des inconvénients énormes. Si on cherche un tracé à l’Ouest de la vallée, la topographie conduit à le reporter sur le plateau à plusieurs kilomètres de la R.N. 448 pour éviter les nombreuses vallées transversales très escarpées dont le franchissement serait à la fois très coûteux et très inesthétique (tracé en bleu sur la carte). Ce tracé présente des inconvénients rédhibitoires : il porte de 35,6 à 44,6 km la longueur du tracé, ce qui représente, pour une route qui sera un des axes essentiels de l’économie française, plus de 66 millions de kilomètres parcourus inutilement chaque année, soit une perte annuelle dépassant 20 millions de nouveaux francs ; il se développe en grande partie sur de riches terrains agricoles dont la destruction soulèvera de très fortes oppositions ; et surtout il n’assure pas la desserte de la région de Fontainebleau ce qui imposera de maintenir, sur le tracé de la R.N. 7, les coûteuses déviations que l’autoroute devait éviter. Si on cherche à passer par l’Est de l’École, on ne peut éviter de pénétrer dans le massif forestier car les agglomérations s’étendent jusqu’à la forêt et y pénètrent même, sous la forme de nombreuses constructions récentes. Il faudra donc entamer le massif forestier à sa lisière (tracé en tireté bleu sur la carte), ce qui va conduire à des destructions plus dommageables sur le plan forestier que le tracé déclaré d’utilité publique, et créer une séparation physique entre les villages et la forêt, ce qui va entraîner des protestations violentes. Sur le plan économique, même s’il est plus court que le tracé par l’Ouest de la vallée, il entraîne néanmoins une perte de plus de 10 millions par an. Il est donc manifeste que ni l’un, ni l’autre des tracés de remplacement possibles ne sont satisfaisants. C’est pourquoi, après de nombreuses études très approfondies, et bien que souhaitant vivement éviter la forêt, le Ministre des Travaux Publics a été amené à maintenir et à faire approuver le tracé actuel qui lui paraît le seul acceptable.
  3. Les critiques faites au tracé déclaré d’utilité publique ne sont pas vraiment justifiées. Il convient tout d’abord de souligner que la zone qu’il traverse ne se présente pas sous l’aspect auquel on pourrait s’attendre si on s’en tient aux attaques des opposants, à savoir de hautes futaies dans lesquelles l’autoroute créerait une véritable saignée. En fait, la zone concernée par l’autoroute a été plusieurs fois ravagée par des incendies et elle n’est constituée que de bouquets d’arbres isolés, séparés par de vastes zones à la végétation clairsemée et pauvre. C’est essentiellement un paysage de landes et de blocs rocheux et le dossier comporte de nombreuses photos pour montrer que ce n’est pas une forêt au sens où on l’entend habituellement. De façon plus précise, l’emprise totale de l’autoroute ne portera que sur 22,82 ha, dont 16,38 ha de terrains militaires, sur un total de 25.000 ha pour l’ensemble du massif. Les terrains militaires sont situés dans une zone de rochers ébranlés, de dalles de grès et de sable. Ils servent de champs de manœuvre et de polygone d’essais d’engins spéciaux, chenillés ou non, ainsi que de zone d’entraînement d’auto-école tous terrains et de terrains de manœuvre pour stage d’accoutumance de troupes en instance de départ en Algérie. Il y a très peu de raisons de penser que des espèces rares, s’il y en eut un jour, se trouvent sur ces terrains, compte tenu de leur utilisation récente. En tout état de cause, les naturalistes qui s’opposent à l’autoroute n’en citent aucune qui aurait été identifiée et qui mériterait d’être protégée. Les arguments entomologiques opposés à l’autoroute seraient peut-être valables dans l’ensemble de la forêt domaniale et, éventuellement, dans son prolongement géographique que constitue le massif des Trois-Pignons mais ils perdent toute leur acuité et leur valeur dans la zone de transition où doit s’inscrire l’autoroute.
  4. La faune et la flore de l’ensemble du massif seraient-elles menacées du simple fait du passage de l’autoroute entre la forêt domaniale et le massif des Trois-Pignons ? Les Ponts-et-Chaussées rappellent qu’actuellement tout le trafic Paris-Lyon s’écoule sur les R.N. 5 et 7 qui sont tracées en plein dans la forêt domaniale sans que la moindre étude n’ait démontré que les biotopes fragiles de la forêt en aient pour autant été gravement affectés. De plus, le massif forestier est parcouru par 1.600 km de routes secondaires et de chemins forestiers accessibles depuis ces nationales et qui sont envahis chaque dimanche, dès les premiers beaux jours, par des dizaines de milliers de promeneurs qui peuvent s’enfoncer avec leur voiture au plus profond de la forêt et piétiner les sous-bois sans que quiconque y trouve à redire, abstraction faite des papiers gras et détritus divers laissés par les visiteurs indélicats. Il y a tout lieu de penser que ce trafic diffus, qu’apparemment l’Institut ne conteste pas, provoque beaucoup plus de dégâts à la faune et à la flore que celui qui empruntera l’autoroute sans s’arrêter.
  5. Les ouvrages d’art vont-ils saccager un site grandiose ? Les deux principaux ouvrages prévus, les viaducs sur la vallée des Cavachelins et la Vallée Chaude, feront l’objet d’un concours et l’aspect esthétique sera une des bases d’appréciation du projet à retenir. On tiendra compte du fait que ces viaducs seront surtout faits pour être vus par en-dessous, par les promeneurs en forêt. Les aménagements paysagers et les nombreuses plantations prévus modèleront un paysage plus varié et plus attrayant que celui qu’offre actuellement la zone traversée. Le site retenu pour le passage de l’autoroute est manifestement assez pauvre et, si on lui reconnaissait le titre de grandiose, on manquerait d’épithètes pour la forêt domaniale proprement dite. Le verbe "saccager" employé par l’Institut paraît donc très exagéré.
  6. L’abandon par le gouvernement du tracé déclaré d’utilité publique en 1958 aurait de très graves conséquences pratiques. Toutes les études faites depuis deux ans ainsi que les acquisitions de terrains deviendraient caduques. Le choix d’une solution de remplacement poserait des problèmes extrêmement difficiles : la mise à l’enquête de l’un ou l’autre des tracés alternatifs par l’Ouest soulèveraient des protestations d’autant plus violentes que les intéressés ne manqueraient pas de critiquer ardemment l’abandon d’un tracé qui ne lésait pas la propriété privée et qui avait reçu un accord quasi unanime. Si la traversée de la forêt à l’air libre était abandonnée, une des solutions à étudier attentivement serait celle d’une traversée souterraine sur les 2.500 mètres les plus sensibles du tracé, entre Arbonne et Achères-la-Forêt. Un tel projet, malgré ses inconvénients évidents, serait peut-être, en définitive, préférable aux solutions de déviations, compte tenu de toutes les incidences économiques. Mais les motifs qui auraient conduit à accepter une telle dépense et de telles sujétions seraient certainement mal compris de l’opinion publique. En tout état de cause, le retard apporté à la construction de l’autoroute Paris-Lyon serait de plusieurs années.
  • Photos figurant dans le dossier des Ponts-et-Chaussées pour illustrer l’état de la "forêt" en 1960, sur le tracé prévu pour l’autoroute :

1962-1963 : A partir d’où instaurer un péage ?[]

  • La question du financement des autoroutes avait été complètement mise de côté en 1957 et 1958 à cause des problèmes budgétaires du gouvernement mais elle est relancée dès la nomination du gouvernement De Gaulle et la prise de fonction de Robert Buron à la tête du ministère des Travaux Publics le 9 juin 1958. Consciente que les crédits de l’État provenant du Fonds Spécial d’Investissement Routier seraient insuffisants pour financer en une quinzaine d’années la construction des 1.800 km d’autoroutes prévus au programme de 1955, la Direction des Routes envisage dans un premier temps de lancer des emprunts gagés sur les ressources futures du F.S.I.R. mais cette solution est formellement rejetée par le ministère des finances car non conforme aux règles de l’orthodoxie budgétaire. Le ministère des finances, dirigé par Antoine Pinay, conteste d’ailleurs le besoin de construire si rapidement autant d’autoroutes et considère qu’en matière de financement il faut s’en tenir aux ressources existantes[6].
  • La situation de blocage cesse avec la démission d’Antoine Pinay le 13 janvier 1960, le nouveau ministre des finances, Wilfrid Baumgartner, et son secrétaire d’état, Valéry Giscard d’Estaing, ne s’opposant plus par principe au plan autoroutier gouvernemental. Les ministères des Travaux Publics et des Finances se mettent rapidement d’accord sur un système de financement par lequel on pourrait compléter les crédits budgétaires issus du F.S.I.R. par des emprunts gagés sur des recettes futures de péages. Un conseil interministériel est organisé le 15 mars, à l’issue duquel est annoncé un nouveau plan directeur de l’aménagement du réseau routier national. Ce plan est validé par le conseil des ministres le 30 mars et, après avis du Conseil Général des Ponts-et-Chaussées sur le choix des itinéraires devant constituer les liaisons routières principales, il est publié par le ministère des Travaux Publics le 3 mars 1961[7]. En ce qui concerne les autoroutes, il comporte 3.300 km répartis en 1.800 km à construire en première urgence (d’ici 1975), 600 km en deuxième urgence (vers 1980) et 900 km en troisième urgence (pas avant 1985). Les autoroutes de dégagement des grands centres urbains resteraient libres mais certains tronçons d’autoroutes de liaison pourraient faire temporairement l’objet d’un péage. Dans la pratique, la faiblesse des ressources financières du gouvernement le conduit à envisager de concéder systématiquement l’exploitation des autoroutes de liaison et, par conséquent, de les soumettre au péage. Il prévoit même, par décret du 4 juillet 1960, que la concession portant sur une autoroute nouvelle peut être étendue à l’exploitation d’un tronçon contigu d’autoroute préexistant, la décision devant être prise dans les formes prescrites par la déclaration d’utilité publique.
  • A6 1962 Péage à Savigny-sur-Orge

    Schéma du système de péage envisagé si la concession avait démarré à Savigny-sur-Orge (janvier 1962). © Dark_green67

    En région parisienne, les derniers mois de 1961 et le début de 1962 sont marqués par des controverses passionnées pour définir l’origine des sections à concéder, d’autant plus que c’est la première fois que se pose de façon concrète le problème du péage sur des sections déjà en service. Les différents ministères s’opposent frontalement sur la distinction entre autoroute de dégagement et autoroute de liaison. Dans le cas de l’autoroute du Sud[8], le ministère des Finances considère qu’on a quitté la partie dense de l’agglomération dès qu’on est arrivé à bifurcation d’Orly alors que la DATAR et le ministère de l’Intérieur, qui relaie l’opinion des collectivités locales, mettent en avant que c’est tout le trafic jusqu’à Fontainebleau qui a des caractéristiques de trafic péri-urbain avec des pointes quotidiennes très marquées correspondant aux déplacements pendulaires. De son côté, le ministère des Travaux-Publics se base sur le fait que c’est au niveau de Corbeil-Essonnes que se situe la limite de l’agglomération parisienne proprement dite. Très rapidement les discussions se concentrent sur trois hypothèses pour l’origine de la concession, chacune étant défendue par un ministère : le C.D. 25 à Savigny-sur-Orge, pour les Finances, la R.N. 446 à Courcouronnes, pour les Travaux Publics, et la R.N. 7D au Plessis-Chenet, pour l’Intérieur. A la demande du Directeur des Routes, le Service Spécial des Autoroutes étudie en détail les dispositions pratiques à prendre pour chacune de ces hypothèses (définition du système de perception des péages en entrée ou en sortie, modifications des bretelles pour installer des guichets, nombre de guichets à installer, etc.), leur coût et leur rentabilité prévisible.
  • La position du gouvernement est finalement arrêtée le 9 août 1962, à l’occasion d’un comité interministériel consacré à la politique routière. Pour l’autoroute du Sud, pour laquelle il est urgent de prendre une décision dans la mesure où la section entre Le Plessis-Chenet et Saint-Germain-sur-École est sur le point d’être mise en service et qu’il faut donc savoir si elle doit faire l’objet d’un péage ou non, c’est une solution de compromis qui est retenue : on laisse le libre accès à Corbeil-Essonnes par l’autoroute et la R.N. 446 mais, au-delà, les parcours seront soumis à péage. On installera des barrières sur la bretelle du Plessis-Chenet (4 guichets, dont 2 automatiques) et sur celle de Chailly-en-Bière (6 guichets dont 4 automatiques) et on percevra sur ces deux bretelles un péage forfaitaire, soit 1 Nouveau Franc. La mise à péage de la bretelle du Plessis-Chenet a surtout pour but d’empêcher une évasion de trafic importante qui ne manquerait de se produire dans le cas où le péage serait perçu seulement sur la bretelle de Chailly. Le demi-diffuseur vers la R.N. 448 sera fermé car les recettes de péage seraient insuffisantes pour couvrir les frais de perception. La liaison, par cette route, vers Milly-la-Forêt et au-delà sera établie dans de meilleures conditions par l’échangeur de Cély et la R.N. 372 qui sera réaménagée entre Cély et Milly. Ultérieurement, quand l’autoroute sera mise en service en direction de Nemours et Auxerre, on installera une barrière immédiatement au sud du nœud de Saint-Germain-sur-École (9 guichets dans un premier temps, puis 4 guichets complémentaires vers 1975).
  • Sur le plan administratif, la possibilité de concéder l’autoroute n’a été prévue que pour la section Corbeil-Nemours, dont l’enquête d’utilité publique a eu lieu 1958. Pour la section comprise entre la R.N. 446 et la R.N. 7D, non seulement une mise en concession n’a pas été prévue lors de l’enquête de 1956 mais, de plus, le statut d’autoroute ne lui a même pas été attribué (voir les détails dans le chapitre concernant le prolongement de l’autoroute au-delà de Ris-Orangis). Il faut donc d’urgence lancer une procédure pour régulariser la situation et une enquête d’utilité publique est organisée du 12 au 31 octobre 1962, avec pour double objectif le classement dans la catégorie des autoroutes et la possibilité de mise en concession. Au cours de cette enquête, un très grand nombre de protestations est porté sur les registres, principalement en raison de la fermeture annoncée des bretelles donnant accès à la R.N. 448. Les plus marquantes émanent de trois associations de parents d’élèves qui soulignent le fait que l’instauration d’un péage à partir de la R.N. 446 va ramener dans le centre de Corbeil-Essonnes une partie du trafic qui, depuis deux ans, avait pris l’habitude de contourner la ville par l’autoroute et que cela va accroître l’insécurité pour leurs enfants sur le chemin du collège ou du lycée.
  • Dans son rapport daté du 15 novembre 1962, la commission d’enquête retient le fait que cette fermeture retirerait au tronçon R.N. 446-R.N. 7D son caractère initial de contournement de l’agglomération de Corbeil-Essonnes qui avait fait l’objet de sa déclaration d’utilité publique en 1956. Elle émet donc un avis favorable sur le projet de classement en autoroute mais un avis défavorable sur le projet de mise en concession, si celle-ci doit obligatoirement entraîner la suppression du raccordement à la R.N. 448. De leur côté, les élus locaux multiplient les manifestations[9] et ils obtiennent le soutien officiel du district de la région de Paris qui, le 7 décembre, adopte à l’unanimité une résolution demandant le report de la perception du péage à Nemours. Le 20 décembre, le Délégué Général au district, Paul Delouvrier, fait connaître au Premier Ministre et aux ministres des Finances, de l’Intérieur et des Travaux Publics les raisons pour lesquelles il appuie personnellement cette résolution et il demande qu’à tout le moins, un traitement discriminatoire ne soit pas institué à l’encontre des habitants de Melun, Fontainebleau, Milly-la-Forêt et La Ferté-Allais par rapport à ceux de la région de Versailles qui empruntent l’autoroute gratuitement.
  • Cette intervention décisive se conjugue avec un changement majeur : l’installation du deuxième gouvernement de Georges Pompidou, nommé le 7 décembre à la suite des élections législatives des 18 et 25 novembre. Le nouveau titulaire du portefeuille des Travaux Publics et des Transports est Marc Jacquet, député de la première circonscription de Seine-et-Marne et maire de Barbizon, qui, comme tous les élus du secteur, s’oppose vigoureusement à l’idée du péage à partir de Corbeil. Dès lors, l’affaire est entendue : l’autoroute sera libre de péage jusqu’à Fontainebleau et la concession en cours de négociation avec la SAPL démarrera à Saint-Germain-sur-École, juste après la bifurcation de la bretelle de Chailly-en-Bière. L’administration abandonne donc la procédure qui avait fait l’objet de l’enquête d’utilité publique en octobre et, au passage, tout le monde semble avoir oublié d’officialiser le classement du tronçon entre Grigny et Le Plessis-Chenet dans la catégorie des autoroutes.
  • Pour l’anecdote, on retiendra que l’autoroute a fait l’objet d’une ouverture "technique" pendant la période des fêtes de fin d’année, du 21 décembre 1962 au 7 janvier 1963, alors que tous les travaux n’étaient pas terminés, notamment le marquage et les accotements. La décision avait été prise au cours d’une réunion organisée à la direction des routes le 24 novembre précédent, à une époque où l’origine de la concession devait être fixée à Courcouronnes. Les Ponts-et-Chaussées avaient alors soigneusement équipés les accès à l’autoroute de panneaux indiquant "Autoroute Paris-Lyon / Exploitation provisoire sans péage". Ces panneaux ont été déposés pour l’ouverture définitive qui est intervenue après l’inauguration par Marc Jacquet le 23 mars 1963.

Liens externes[]

Autres articles détaillés consacrés à l’historique de l’autoroute A6[]

  • Élaboration générale du tracé :
  • La Route des Plateaux et l’autoroute A6 dans l’Yonne :
  • Arrivée sur Lyon, tunnel sous Fourvière et cours de Verdun :


Notes et références[]

  1. Macherin est exactement à mi-distance entre Arbonne et Barbizon…
  2. "La Commission ayant statué sur toutes les observations et réclamations qui ont été produites ; Considérant que le projet soumis à l’enquête correspond à un besoin urgent en raison de l’accroissement régulièrement constant de la circulation et du nombre des accidents ; Considérant que le tracé proposé a été établi de façon à respecter l’intégrité de la Forêt domaniale et que, sans porter atteinte au site, il présente l’avantage d’un trajet plus court que tout autre situé plus à l’Ouest, et permet ainsi d’éviter des dépenses supplémentaires très importantes de construction, d’amortissement et d’exploitation ; Considérant qu’il est nécessaire que l’Autoroute permette aux très nombreux touristes parisiens d’accéder à la forêt domaniale, "parc naturel de repos et de détente", dans les meilleures conditions de facilité et de sécurité ; qu’en conséquence le tracé de l’Autoroute en bordure du chemin départemental 64, dans une région rocheuse peu boisée, respecte au mieux cette condition ; qu’il n’est d’ailleurs pas indifférent qu’elle donne un aperçu aux touristes français et étrangers sur un site remarquable de l’Ile de France ; Considérant qu’en ce qui concerne les objections des Amis de la Nature et des sociétés savantes sur le trouble qui serait causé par la circulation automobile à la flore et à la faune de la région traversée, la situation actuelle ne serait pas aggravée pour l’ensemble de la forêt, bien au contraire, et que pour la zone de passage de l’Autoroute des solutions sont possibles, notamment le rétablissement de communications suffisamment nombreuses, donnant libre accès aux touristes et aux animaux et assurant les liaisons indispensables à la vie forestière ; Considérant que l’Autoroute constituerait un excellent moyen de protection de la forêt contre la propagation des incendies, spécialement au voisinage du massif des Trois Pignons, zone particulièrement sèche souvent ravagée par le feu ; Considérant que l’autoroute, et surtout la bretelle de Macherin, entraînerait le morcellement de la commune de Saint-Martin-en-Bière ; que le tracé de cette bretelle reliant l’Autoroute à la Route Nationale 837 près du site de Franchard, qui a soulevé le plus d’objections tant des protecteurs des sites que des agriculteurs, pourrait sans inconvénient majeur être portée plus au Nord vers la Nationale 7 entre les communes de Perthes et Chailly et sans troubler les exploitations agricoles de ces communes ; Considérant qu’il pourrait en résulter peut-être d’ailleurs, aux dires mêmes de l’Administration, une amélioration du tracé de l’Autoroute ; DEMANDE : 1° - que la bretelle de Macherin soit abandonnée et remplacée par une autre située plus au Nord et aboutissant sur la Nationale 7 au Sud de Chailly-en-Bière. 2° - que le tracé de l’autoroute soit modifié en conséquence, passant entre Fleury et Cély-en-Bière. SUGGERE : 1° - En ce qui concerne la reconstitution du site forestier des Trois-Pignons envisagée par l’Administration des Eaux-et-Forêts, à l’Ouest de la Forêt domaniale, qu’un concours financier soit apporté à celle-ci par l’Administration des Travaux Publics, pour lui permettre de compenser la perte résultant de l’emprise de l’Autoroute et d’agrandir en même temps l’ensemble forestier autour de la forêt domaniale, au bénéfice des Eaux-et-Forêts comme des touristes. 2° - Que pour éviter toute atteinte au site dans la bordure Est du terrain militaire de Bois-Rond, un tracé plus proche du chemin départemental 64 soit étudié et, notamment, si possible, à l’Est de ce chemin, dans la zone des petites carrières de bordures et de pavés, et en accord avec l’architecte en chef chargé de l’étude de ‘ensemble touristique de la forêt de Fontainebleau. 3° - Suggère enfin que l’Autoroute soit prolongée le plus rapidement possible jusqu’à Auxerre, point d’aboutissement de la première section, de façon à éviter une congestion de la région de Fontainebleau. Sous ces réserves et suggestions, estime que le projet de construction du prolongement de l’Autoroute Sud de Paris entre Corbeil-Essonnes et Nemours présente un caractère d’utilité publique."
  3. Après obtention de la déclaration d’utilité publique, le tracé sera finalement modifié sur un kilomètre supplémentaire au Nord de Nainville-les-Roches pour éviter une courbure trop marquée de l’autoroute (modification intervenue lors de l’enquête parcellaire). Cette rectification concernant le territoire d’une commune située dans le département de Seine-et-Oise, on peut supposer que le SSA avait "négligé" discrètement ce tronçon pour ne pas avoir à lancer l’enquête complémentaire sur les deux départements.
  4. Il sera tenu compte de ces protestations lors des enquêtes parcellaires en 1960 : à Chailly le tracé de la bretelle de jonction avec la R.N. 7 sera décalé de 800 mètres vers le Sud pour se rapprocher de la limite communale avec Barbizon et, entre Saint-Germain et Cély, le franchissement de l’École sera modifié, avec l’introduction de deux courbes successives un peu plus serrées que sur le reste du tracé (rayon de 1.000 mètres au lieu de 1.500 mètres pour le reste de la section), pour permettre de faire passer l’autoroute à plus grande distance des habitations.
  5. Outre le passage de l’autoroute, les sociétés savantes s’opposaient également à une demande de concession sur un gisement de pétrole qui avait été découvert dans la région de Chailly-en-Bière et qui était partiellement situé sous la forêt domaniale. Par ailleurs, elles s’opposaient au même moment au tracé de l’autoroute du Nord à travers la forêt de Chantilly qui, lui aussi, venait d’être déclaré d’utilité publique et au tracé du prolongement de l’avenue de La Défense à travers la forêt de Saint-Germain.
  6. Antoine Pinay était en particulier opposé à l’autoroute Lyon-Marseille qui paraissait pourtant la plus rentable de toutes. Il soutenait le projet concurrent de "Latérale 7" qui consistait à créer une route spécialisée pour les poids lourds, en lieu et place de la voie ferrée de la rive droite du Rhône entre Givors et le pont d’Avignon, ce qui aurait redonné à la Nationale 7 une capacité suffisante pendant de nombreuses années pour écouler le trafic des véhicules de tourisme, moyennant seulement quelques déviations d’agglomérations.
  7. Circulaire n° 28, non publiée au Journal Officiel.
  8. Les discussions concernaient également l’autoroute de l’Ouest et l’autoroute du Nord
  9. En particulier, neuf communes (Nainville-les-Roches, Auvernaux, Le Coudray-Montceaux, Soisy-sur-École, Dannemois, Courances, Videlles, Moigny et Milly-la-Forêt) annoncent publiquement une grève administrative illimitée si le projet est maintenu.



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